la graphothérapie
De plus en plus d’obstacles freinent les élèves dans l’apprentissage de l’écriture : usage intempestif d’ordinateurs, de tablettes, de jeux vidéo et ce, dès leur plus jeune âge ; précocité des apprentissages, sur- stimulation des sens, pensée plus rapide que le geste, manifestations réactionnelles, opposition, hyperactivité…
Tous ces facteurs, selon les cas, modifient la relation à l’écriture des jeunes générations et peut ainsi entraver la marche normale de leur scolarité : une écriture déficiente entraîne immanquablement des fautes d’orthographe ou une lecture heurtée.
Discipline relativement jeune, apparue dans les années 1960, la graphothérapie traite la dysgraphie qui représente un trouble de l’écriture manuelle.
La dysgraphie se traduit par un tracé saccadé que témoignent de nombreux arrêts de « plume », ou par un manque d’aisance ou de fluidité du fil graphique ; ou encore par un tracé trop lent qui fatigue à force d’efforts inefficaces ; ou enfin par une écriture illisible, même pour celui qui l’a produite et n’arrive pas à se relire.
La graphothérapie telle que je la pratique ne se limite pas à une simple rééducation de l’écriture. L’enfant va également pouvoir s’exprimer à travers une panoplie de jeux et d’exercices graphiques, les « JEUXERCICES » afin de donner libre cours à sa créativité, son imagination et son inventivité avec comme support de base le graphisme, d’où son appellation grapho-pédagogie.
La pratique de la grapho-pédagogie, concept unifiant, permet de retracer et « remodeler » les différentes étapes qui ont amené l’élève à se détourner de l’écriture, dont la dysgraphie témoin privilégié, a choisi d’investir le symptôme.
Je me suis en effet, toujours refusée de rééduquer le symptôme que traduit une écriture dysgraphique chez un enfant, car elle peut présager d’un trouble réactionnel lié à son histoire. Je préfère privilégier la rencontre avec ce dernier à travers, entre autres, l’expression sous ses multiples formes et des activités proposées sur un mode ludique et didactique.
L’HOMME ET L’ÉCRITURE
Depuis les débuts de l’humanité, malgré des conditions de vie souvent précaires, incertaines, entrecoupées de fréquentes périodes de guerre, de maladies, et de famines, l’être humain a su pourvoir aux besoins fondamentaux des enfants que la vie lui confiait, afin d’en perpétuer l’espèce.
Le petit d’homme s’est développé au mieux de ses aptitudes et de ses facultés de résilience, ramenant dans ses bagages des dons à révéler et à développer, aussi bien que des épreuves à vivre, en fonction de son destin…
Les connaissances sur la période de la prime-antiquité restent floues ; on peut cependant imaginer l’enfant d’autrefois évoluant au sein d’une communauté familiale élargie. Situé à la périphérie du cercle familial dont il était issu et non au centre comme actuellement, l’enfant était subordonné à lui-même, ce qui favorisait son autonomie. Prenant exemple sur les proches de son entourage dont il s’inspirait et qui veillaient à ses besoins essentiels, il s’éveillait à la vie, s’initiant progressivement au respect de ses lois.
Au regard des magnifiques peintures découvertes sur les parois des grottes qui les abritaient, les hommes au temps du Paléolithique, pratiquaient déjà un Art sublime.
Les capacités de l’homme moderne qui lui permettaient de créer un système de signes durables dans le temps, témoignent d’un besoin de conserver la mémoire des faits, et d’en stocker l’information au moyen d’incisions et d’encoches gravées avec des outils en silex le plus souvent, sur des plaquettes en os, en bois de cervidés, sur de l’ivoire ou sur certaines fresques.
Les paléographes nous révèlent que les premiers tracés, annonciateurs de l’écriture manuelle, sont estimés à 50.000 ans et sont apparus avec les représentations rupestres, compositions graphiques qui témoignent de leur environnement peuplé de personnages, d’animaux, d’objets, parfois d’armes. Ces représentations sont souvent accompagnées de signes géométriques, de rayures, de points, précurseurs d’une proto-écriture…
Tout laisse à penser que les petits enfants devaient être tentés de reproduire certaines de ces formes ou d’en expérimenter d’autres sur des galets, des cailloux plats, sur la terre ou dans le sable ; supports éphémères, donc effaçables et délébiles.
L’enfant a toujours griffonné, depuis l’antiquité, jusqu’à l’heure actuelle, cette activité est inhérente à la nature « d’être humain ».
« L’APPEL DE L’ÉCRITURE… »
L’écriture manuscrite, création-invention des plus remarquables, participe à la grandeur du genre humain. Pour exemple, les « hiéro-glyphes » égyptiens, hittites, minoens, mayas, olmèques…. Gravés dans la pierre ou sur des matières dures, ces inscriptions se distinguent par la beauté et la perfection de leurs tracés, œuvres d’art inestimables qui avaient de surcroît une valeur sacrée.
Le développement de l’écriture s’inscrit en parallèle avec celui de l’histoire des contrées qui l’ont vu naître, croître et se développer, se coulant dans le sillage de leurs méandres. Le parcours nécessaire à la construction de ses diverses composantes, a permis par la suite, à l’époque contemporaine, d’en remonter le fil afin de comprendre son fonctionnement et son message à travers le déchiffrement de ses graphies.
Ces précieuses découvertes et renseignements nous ont amenés à découvrir la culture, le mode de vie, les activités commerciales et le quotidien des différentes peuplades à travers les continents. Les écritures multiformes virent le jour simultanément à divers endroits de la planète, leur fonction première ayant pour objectif de mémoriser les idées des hommes, leurs inventions, croyances, idéologies, leur comptabilité et d’en communiquer le contenu.
Tout au long de son histoire, l’écriture a subi des transformations successives et des réaménagements s’étalant sur des périodes plus ou moins longues, selon le cheminement et les remous de l’histoire. Prenons l’exemple de l’écriture gothique, au tracé serré, anguleux, enchevêtré, souvent illisible, datant du tout début de la Renaissance. Cette période a permis une remise en question fondamentale de la société, apportant un renouveau au cœur des systèmes philosophiques, artistiques et religieux. De nouvelles explorations ont été menées par le monde, et la découverte des caractères d’imprimerie de Gutenberg, a contribué à imprimer des livres en de plus en plus grandes quantités.
Aujourd’hui, nous vivons une « nouvelle Renaissance », avec une réorganisation de la plupart des grands systèmes. Les découvertes scientifiques et technologiques sont toujours plus rapides et nombreuses ; les innovations se succèdent en un temps record…
Nous vivons à une époque où tout s’accélère, il faut faire au mieux en un minimum de temps ; le monde ressemble à une immense toupie qui « tourne autour du temps ». Les enfants sont confrontés à ce tourbillon qui les emporte dans un rythme vertigineux, brouillant leur notion de l’espace et du temps, dont les signes bien visibles dans leur écriture, concourent à la dysgraphie.
L’ouverture à l’univers de la technologie informatique, dont l’écriture électronique et les écrans mobiles prend une telle extension à l’heure actuelle, qu’il est permis d’imaginer un monde où l’écriture manuelle n’aurait plus lieu d’exister.
Par ces temps qui courent, son long apprentissage qui demande effort et assiduité soulève une polémique remettant son utilité en question au profit du clavier, qui devient de « nouvelles mains ».
Gardons à l’esprit que ce qui différencie le robot de l’être humain est bien sûr son absence d’âme, donc de créativité, et que la programmation des tâches qu’il accomplit se traduit par la mécanisation de gestes dépersonnalisés. Ne plus savoir écrire signifierait un retour à un stade antérieur, alors que la trace écrite conserve l’empreinte identitaire de l’hu-main qui l’a produite. A l’instar du robot, les mains sont un outil d’humanisation.
Il y a peu, s’est répandue la nouvelle que dans plusieurs états américains, l’écriture manuscrite avait été abandonnée au profit du clavier et que son apprentissage devenait optionnel. Ces rumeurs sont totalement infondées.
Il s’agit seulement de se détacher de la forme dite cursive (lettres attachées) et de privilégier la forme scripte (lettres juxtaposées). Rien de plus ; enfin pour le moment.
Des tests pilotes du tout numérique expérimentés en 2014 dans certaines écoles aux États-Unis se sont soldés par des résultats désastreux, obligeant les instigateurs de ce projet pour le moins aventureux de revenir à un enseignement plus traditionnel dès 2017.
Soulignons au passage, que les enfants des cadres supérieurs affectés aux grandes entreprises de la Silicon Valley, bénéficient de l’apprentissage des deux formes d’écriture : la scripte et la cursive, utilisant en parallèle les tablettes tactiles à l’adolescence.
De fausses informations ont également circulé à propos de la Finlande, avec le même cas de figure, c’est à dire l’abandon de la pratique de l’écriture manuelle, mais là aussi, il s’agit seulement de renoncer à la forme cursive en faveur du script… !
Pourquoi ce vent de panique vient-il secouer un concept qui existe depuis des millénaires ? Il faudra sans doute se garder des lanceurs d’alertes erronées, qui saisissent l’aubaine de l’augmentation exponentielle des troubles dysgraphiques chez nos jeunes, pour porter atteinte à l’écriture manuscrite, en faveur d’un apprentissage mécanisé qui deviendrait systématique à l’école. Cette option figure-t-elle au programme prévu dans la destinée de l’être humain de se glisser dans la peau d’un robot ? Une nouvelle expérience ?
Pour parer à une situation qui le dépasse, l’homme a toujours su se montrer créatif et ingénieux dans bien des situations. La « bonne santé » de l’écriture de nos enfants est l’objectif de cet ouvrage. Il y a peut-être moyen de concilier l’apprentissage de l’écriture manuelle au cours des études primaires, puis celle au clavier, en utilisant tous les doigts, afin de favoriser une bonne coordination hémisphérique, lors du « sas de passage » vers le premier degré de l’enseignement secondaire.
Allier la tradition à la modernité, ne participerait-il pas à la définition de la sagesse ?
PRINCIPAUX BIENFAITS DE L’ÉCRITURE MANUELLE
Comprendre et aider l’enfant : l’écriture véhicule un langage conscient et inconscient. Pouvoir en détecter le sens présente un avantage certain en vue de déterminer l’état psychoaffectif dans lequel se trouve l’enfant au moment où il écrit.
Citons l’exemple du petit garçon de 8 ans dont les résultats scolaires baissent et qui en outre, commence à déprimer. En observant les cahiers de l’enfant, il a été possible de déterminer à quel moment est apparu son changement d’attitude.
C’est le témoignage de l’institutrice qui a pu éclairer la situation : l’enfant calme et studieux, avait été placé entre deux autres élèves bagarreurs en vue de pondérer leur penchant pour la querelle !
Participer à la construction cérébrale : l’acte scriptural fait appel à des facultés motrices ainsi qu’à des facultés neurologiques complexes. Ce processus cérébral sollicite de multiples capacités activées au niveau du cortex moteur et du cortex somatosensoriel en formant de nouvelles connexions neuronales très utiles pour la suite des apprentissages généraux. Avec l’avancée des neurosciences, l’intérêt se porte sur l’approbation des bienfaits de l’écriture manuelle sur le cerveau des enfants.
Pour le Dr Olivier Revol, neuro et pédo-psychiatre, qui dirige le Centre des troubles d’apprentissage au CHU de Lyon : « écrire un mot joue un rôle important dans sa reconnaissance et sa mémorisation. La formation de chaque lettre exige un mouvement spécifique, qui active une zone particulière du cerveau et crée des connexions précieuses pour les autres fonctions cognitives (lecture, orthographie, mémorisation…). Le geste graphique favorise ainsi les apprentissages, à la différence de l’utilisation du clavier, plus robotisée… ».
Stimuler la mémorisation : l’apprentissage de l’écriture passe par le concret en faisant participer plusieurs fonctions du corps.
La mémoire se construit grâce à l’écriture manuelle et non à l’aide d’un écran, tout au long du cursus des études, mêmes supérieures… C’est ce que nous confirme Jean-Luc Velay, chercheur en neurosciences :
« D’après les études que nous avons menées, l’apprentissage de l’écriture manuscrite incite les enfants à faire un mouvement qui ressemble à la forme visuelle de la lettre. Il se crée donc une mémoire sensori-motrice propre à chaque lettre… qui est utile lorsque l’enfant se place en position de lecteur car cette mémoire assiste la vision pour la lecture des lettres… les mouvements de pointage au clavier sont les mêmes et on ne crée plus de mémoire sensori-motrice…. Il y a de grands projets internationaux en cours de publication… on arrive pour le moment toujours à cette conclusion ».
Conditionner à l’effort, à la concentration : écrire à la main, demande à l’élève une attention soutenue et un gros effort de concentration afin d’intégrer, mémoriser et recopier les 26 lettres figurant au tableau alphabétique. Leur donner du sens, en les rendant vivantes représentera une aide considérable pour les jeunes apprentis en écriture.
Une fois leur forme acquise, il faudra ensuite associer les lettres entre elles, c’est à dire les écrire en attaché, prenant garde à ne pas interrompre la continuité du fil graphique qui les relie, éviter trop de levées de plumes, les tâches qui forment des « pâtés d’encre » et les retouches qui rendent un mot parfois illisible.
Le petit élève devra aussi prêter attention aux espaces entre les mots et les lignes, veiller à un bon alignement des mots sur la ligne de base du cahier, et respecter l’ordonnance des marges, assurant ainsi une bonne organisation de la page.
Tous ces aménagements nécessitent une pratique régulière de l’écriture. Cet effort de persévérance, représentera pour certains un véritable parcours du combattant bien plus fastidieux que celui qu’occasionnerait la mise au clavier…
La plupart des études qui se sont penchées sur le sujet de l’électronique comme outil d’apprentissage, et ce dès le plus jeune âge, insistent sur les effets délétères qu’ils produisent sur l’ensemble du système nerveux, conduisant à une baisse des fonctions cognitives, en particulier celle de l’attention, de la concentration et de la dextérité.
Les gadgets informatiques en tous genres proposés aux enfants rendent leur esprit occupé de façon continuelle, les incitant à passer d’une activité à l’autre sans laisser au « rien faire » la possibilité d’occuper une place. De plus, le jeune vit dans un environnement où la plupart des tâches sont facilitées par la technique. Alors, pourquoi fournir des efforts là où il y a moyen de les éviter ?
Mobiliser le système sensoriel : la fonction scripturale étant liée au développement du système sensoriel, synonyme de plaisir des sens, correspond à un bien-être inégalable quand on le vit non seulement à travers son corps, mais aussi à travers son esprit…Il suffit d’observer l’enfant lors de ses premières tentatives, occupé à tracer une écriture imaginaire composée de gribouillages, de lignes droites et de courbes qui s’expriment pêle-mêle sur le papier. Il empoigne son outil graphique devenu baguette magique, la faisant voltiger sur la page parsemée de gribouillis qu’il semble ravi de réaliser !
S’ancrer dans la vie, s’enraciner : s’ancrer, c’est se sentir relié et connecté à la terre, prendre conscience de son corps en se dégageant du mental et de ses émotions. Bon nombre d’enfants actuels appartenant bien souvent à la famille « DYS », dont la dysgraphie, semblent par moments décrocher du quotidien. Leurs repères spatio-temporels, directement liés à leur corps restent assez flous, brouillant la représentation qu’ils en ont ; ils sont souvent poètes ou rêveurs…
Quel meilleur exemple que celui du dessin de leur bonhomme en lévitation, qui donne l’impression de flotter sur la page, et dans les cahiers, celui des mots qui ne parviennent pas à rester posés sur la ligne de base de l’écriture. Ne pas leur permettre de passer par l’écriture manuelle structurante les priverait de l’apport d’informations véhiculées par les 5 sens, organes médiateurs entre la réalité extérieure et leur réalité intérieure, siège du psychisme, afin qu’ils puissent se connecter à leurs perceptions tout en se sentant reliés à la terre. Une mise au clavier prématurée, activité virtuelle de surcroît, risquerait de renforcer cet état de « flottement » qui caractérise ces enfants, plutôt que de les ancrer (encrer), dans le réel, les pieds bien sur terre.
Rite de passage : l’entrée en enseignement fondamental appelle l’enfant à se détacher du monde magique de la petite enfance, celui du tout, tout de suite, celui basé sur des lois incontournables auxquelles il est obligé de se soumettre. L’écriture manuscrite n’échappe pas à cette règle, faisant aussi partie de ce rite de passage auquel aucun clavier, aucune tablette ne peut se substituer. Elle permet à l’enfant de grandir et de se sentir fier de lui, grâce aux efforts qu’elle requiert ; efforts nourris à travers la relation affective bienfaisante avec son professeur qui n’est plus à démontrer.